Le tissu entrepreneurial marocain connaît un regain de dynamisme, à la hauteur des ambitions économiques du Royaume. Avec 95.256 nouvelles entreprises créées en 2024, selon l’OMPIC, le pays confirme la vitalité de son écosystème. Pourtant, derrière ce chiffre en apparence flatteur, se cachent des défis persistants, notamment en matière de viabilité, de diversification sectorielle, et d’accompagnement stratégique. La création d’entreprise au Maroc n’est plus seulement un acte administratif; elle devient l’un des grands indicateurs de la santé économique et sociale du pays.
L’essor de la création d’entreprise ces dernières années repose sur une évolution majeure : la digitalisation des démarches. Avec la généralisation de la plateforme électronique dédiée, les porteurs de projets peuvent aujourd’hui créer leur société à travers une interface unique connectée aux différents organismes concernés : OMPIC, DGI, CNSS, tribunaux de commerce, Imprimerie Officielle… Résultat, des délais réduits, des coûts allégés, une traçabilité renforcée.
Mais cette avancée technique, aussi structurante soit-elle, ne saurait suffire. La simplification administrative facilite certes l’entrée dans l’univers entrepreneurial, mais elle ne prémunit pas contre les risques qui jalonnent les premières années de vie d’une entreprise. Les cessations d’activité restent nombreuses, et leur analyse exige une lecture croisée des chiffres : taux de défaillance, ratio création/défaillance, typologie des structures concernées…
En analysant la nature des entreprises créées en 2024, un constat s’impose : l’économie marocaine repose encore très majoritairement sur les secteurs du commerce (35,13 %) et des services (18,20 %), suivis par le BTP et les activités immobilières (19,21 %). Les transports et l’industrie ferment la marche, tandis que des secteurs stratégiques comme les TIC (2,79 %), l’agriculture ou la pêche (1,68 %) peinent à émerger.
Cette configuration soulève des interrogations sur la capacité du tissu entrepreneurial à répondre aux priorités du pays : souveraineté alimentaire, transition numérique, relance industrielle. L’écosystème des startups, en particulier, reste dans une phase d’activation, encore éloignée de la maturité nécessaire pour séduire les investisseurs internationaux ou opérer des ruptures technologiques.
Le manque de financement reste l’un des principaux freins à la pérennité des jeunes entreprises. Si des dispositifs comme Inteleka, Tamwilcom ou Maroc PME ont vu le jour, les taux de rejet restent élevés, même lorsque des mécanismes de garantie sont en place. Le problème ne réside pas uniquement dans l’offre de crédit, mais aussi dans les exigences bancaires en matière de solvabilité et de rentabilité, souvent inaccessibles pour les très petites entreprises.
Le déséquilibre entre personnes morales (67.546 créations) et personnes physiques (27.710) témoigne d’un changement dans les modèles entrepreneuriaux, mais reflète aussi la fragilité des parcours individuels, notamment chez les auto-entrepreneurs, les jeunes et les femmes.
Pour lever ces obstacles, une meilleure communication entre banques et entrepreneurs, l’adaptation des critères d’octroi de financement et une transparence accrue des entreprises s’imposent. Sans cela, la dynamique actuelle risque de s’essouffler.
Au-delà de l’aspect financier, la consolidation d’un tissu entrepreneurial pérenne passe aussi par l’accompagnement. Les CRI, en réseau avec la plateforme nationale, jouent un rôle clé en matière de conseil, d’orientation et de mise en relation. Mais pour sécuriser davantage les parcours, un appui de proximité renforcé reste nécessaire, en particulier dans les régions éloignées des grands centres.
La formation continue constitue un autre levier déterminant. Gestion, marketing, innovation, comptabilité… Les compétences manquent encore pour structurer des modèles d’affaires solides et évolutifs. Là encore, l’État et les partenaires doivent renforcer leur offre, en la rendant plus accessible et plus adaptée aux réalités des entrepreneurs de terrain.
Créer une entreprise ne devrait plus être perçu comme une aventure solitaire ou un acte de survie économique, mais comme un choix structurant, inscrit dans une logique d’impact. Pour cela, il est urgent de faire évoluer les mentalités, de valoriser les échecs comme autant d’apprentissages, et de promouvoir une culture de l’entrepreneuriat plus inclusive.
Il s’agit aussi de repenser les priorités : intégrer davantage les femmes, les jeunes et les populations rurales, encourager les projets à forte valeur ajoutée dans les secteurs technologiques, industriels et agricoles, et stimuler les synergies entre innovation, durabilité et développement territorial.
L’entrepreneuriat au Maroc, plus qu’un indicateur conjoncturel, devient un miroir de la société. Il reflète à la fois ses aspirations profondes et ses fragilités structurelles. À l’État, au secteur privé et à la société civile de transformer cet élan en socle durable pour une économie plus résiliente, plus créative et mieux ancrée dans les défis du XXIe siècle.