À mesure que l’Europe reconfigure ses chaînes de valeur industrielles et que le Maroc consolide son rôle de hub économique en Afrique du Nord, la relation entre Rabat et Rome prend une densité nouvelle. Longtemps stable mais discrète, elle s’affirme désormais comme un partenariat à fort potentiel, nourri par une convergence d’intérêts économiques, une volonté politique commune et un cadre stratégique en construction.
Avec plus de 5 milliards d’euros d’échanges commerciaux en 2025, selon les dernières données croisées des deux chancelleries, l’Italie s’installe parmi les premiers partenaires du Maroc au sein de l’Union européenne, derrière la France, l’Espagne et l’Allemagne. Les exportations marocaines vers le marché italien se diversifient : pièces automobiles, produits agricoles, composants électriques, textiles techniques. En retour, l’Italie fournit au Maroc des machines-outils, des produits chimiques, des équipements industriels, mais aussi des services à haute valeur ajoutée.
Ce rééquilibrage se traduit aussi sur le terrain des investissements. Plus de 200 entreprises italiennes sont implantées au Maroc, principalement dans les régions de Casablanca, Tanger et Kénitra. Elles évoluent dans l’automobile, l’énergie, la transformation alimentaire ou la logistique. Le groupe ENEL, très présent dans les énergies renouvelables, participe à plusieurs appels d’offres dans le solaire et l’éolien. D’autres opérateurs investissent dans l’eau, la valorisation des déchets ou le traitement des eaux usées, domaines où l’expertise italienne est reconnue.
Cette dynamique a franchi un cap avec la signature, début octobre à Rome, d’un mémorandum d’entente entre la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) du Maroc et la Cassa Depositi e Prestiti (CDP), son homologue italienne. Derrière ce texte, une ambition partagée : structurer une coopération d’investissement entre deux institutions qui gèrent, chacune, plusieurs dizaines de milliards d’euros d’actifs.
L’accord couvre des secteurs clés — énergie verte, infrastructures, agriculture, développement urbain, tourisme, santé — mais surtout, il pose les bases d’une ingénierie financière conjointe. Objectif : cofinancer des projets, mutualiser les risques, mobiliser les marchés de capitaux, faciliter l’accès des PME au financement, et aligner les projets sur les priorités stratégiques des deux pays.
Le choix du Maroc comme point d’ancrage ne doit rien au hasard. Le Royaume attire par sa stabilité politique, la qualité de ses infrastructures, ses accords commerciaux avec l’Europe et l’Afrique, et sa stratégie industrielle offensive. Le plan d’accélération industrielle, la stratégie agricole Génération Green ou encore la feuille de route nationale pour l’hydrogène vert offrent un terreau favorable à l’investissement.
Côté italien, l’intérêt est multiple. Réduire la dépendance vis-à-vis de l’Asie en relocalisant certaines productions. Sécuriser les approvisionnements énergétiques. S’appuyer sur des partenaires fiables pour conquérir de nouveaux marchés. La CDP, bras financier de l’État italien, a d’ailleurs ouvert en 2024 un bureau à Rabat, preuve d’un engagement appelé à durer.
Mais le potentiel reste sous-exploité. Le niveau d’investissement italien au Maroc reste en deçà de celui observé avec la France ou l’Espagne. Les entreprises italiennes souffrent parfois d’un déficit d’information sur le marché marocain, ou d’un accompagnement institutionnel trop fragmenté. Côté marocain, le défi est de renforcer les compétences, d’accélérer les réformes administratives et de garantir un environnement juridique stable, lisible et incitatif.
Le nouveau partenariat entre la CDG et la CDP, s’il est correctement suivi, pourrait jouer un rôle d’accélérateur. À condition que les projets annoncés trouvent rapidement leur traduction opérationnelle sur le terrain. Dans le domaine de l’eau, de l’énergie, du logement ou de l’agro-industrie, les besoins sont connus, les acteurs identifiés. Reste à faire converger les intérêts économiques avec les impératifs sociaux et environnementaux.
Au-delà de l’histoire partagée et des commémorations diplomatiques, la relation maroco-italienne entre dans une phase où la complémentarité peut devenir levier. Une relation d’égal à égal, portée par des opérateurs capables de bâtir des projets utiles, visibles et durables.