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jeudi 23 octobre 2025

Siège de Bank Al-Maghrib : un bâtiment qui raconte un siècle d’histoire du Maroc

Au croisement de l’histoire nationale et de l’identité urbaine de Rabat, le siège de Bank Al-Maghrib s’impose depuis près de cent ans comme un repère architectural, politique et symbolique. Plus qu’un bâtiment, c’est un fragment vivant de la mémoire collective, dressé au cœur de l’avenue Mohammed V, au milieu de ce que l’UNESCO désignera plus tard comme un patrimoine mondial exceptionnel.

Son histoire commence en 1922, lorsque les premières esquisses de l’édifice sont tracées par les architectes Auguste Cadet et Edmond Brion. Un an plus tard, la construction démarre sur une parcelle de 1 842 m². Ce sera l’« aile historique », celle qui accueille aujourd’hui encore les bureaux du Gouvernement de la Banque. Dès ses premières pierres, le bâtiment se distingue par le soin apporté à ses matériaux, ses finitions, ses lignes. Il est taillé dans la pierre de Salé, symbole de robustesse et d’ancrage territorial.

En 1924, la Banque acquiert une parcelle adjacente de près de 4 000 m² pour anticiper son expansion. À mesure que la jeune capitale se développe, les architectes reviennent au chevet du bâtiment. Les années 1950 marquent une première extension, toujours sous la plume d’Edmond Brion. Puis dans les années 1970, c’est au tour de Mourad Ben Mbarek, figure marquante de l’architecture marocaine moderne, d’en signer une nouvelle. Ce dernier s’attachera à respecter le style de ses prédécesseurs avec une rigueur remarquable, jusqu’à rechercher la pierre d’origine dans les carrières de Salé. Ainsi, les trois tranches de l’édifice, réalisées sur plus de 50 ans, présentent une homogénéité rare.

Mais l’histoire du lieu ne se résume pas à sa forme. Elle bascule dans une autre dimension en 1959, lorsque l’indépendance politique du Maroc trouve un prolongement concret dans l’indépendance monétaire. Le 2 juillet de cette année-là, Feu S.M le Roi Mohammed V inaugure officiellement la Banque du Maroc dans ses nouveaux locaux. Devant une foule dense, il dévoile une plaque gravée en arabe et en français, affirmant le retour de la souveraineté économique du pays. La création de la banque nationale d’émission, en vertu du Dahir du 30 juin 1959, est alors présentée comme un acte fondateur. Un tournant décisif. Ce jour-là, le bâtiment cesse d’être un simple siège administratif pour devenir un emblème d’émancipation.

Le long de l’avenue Mohammed V, il fait face au Parlement, tout proche de l’hôtel Balima et de la Poste. Ce secteur, conçu selon les plans d’Henri Prost, incarne le projet urbain du protectorat, mais il a été progressivement réinvesti, réinterprété et réapproprié par les institutions marocaines. C’est dans cette logique que le siège de Bank Al-Maghrib acquiert son statut de repère identitaire, au même titre que les autres monuments de ce quartier classé à l’UNESCO depuis 2012.

L’édifice, qui n’a jamais été vidé de sa fonction première, reste un espace de décision stratégique. Il a traversé les grandes mutations économiques du Maroc : réformes structurelles, libéralisation du dirham, politique monétaire indépendante, modernisation du secteur financier. Tout en accueillant ces bouleversements, le bâtiment a su conserver son âme. À l’intérieur, les plafonds en bois de cèdre, les verrières finement ouvragées, les ferronneries d’époque témoignent d’un savoir-faire artisanal que la Banque s’est toujours efforcée de préserver.

Entre 2015 et 2020, une restauration d’envergure a été entreprise pour moderniser les installations tout en respectant le cachet d’origine. Il s’agissait de la première opération de ce type depuis l’extension des années 1970. Face à la complexité du chantier, les architectes et artisans mobilisés ont dû jongler entre patrimoine, normes contemporaines et exigences fonctionnelles. Le résultat : un bâtiment à la fois fidèle à sa silhouette historique et totalement adapté aux besoins d’une institution monétaire moderne.

Aujourd’hui, le siège accueille sept entités centrales de la Banque dans un environnement repensé, ouvert, modulable. Le design intérieur s’appuie sur des concepts contemporains — transparence, fluidité, interaction — tout en rendant hommage à l’héritage de l’édifice. La coupole de l’atrium historique a été restaurée dans les règles de l’art. Des matériaux traditionnels ont été réemployés. Et les aménagements techniques — ventilation, éclairage, accessibilité — ont été repensés dans une logique d’efficacité énergétique.

Si l’on considère que l’architecture exprime les choix d’une époque, alors le siège de Bank Al-Maghrib exprime une continuité : celle d’un État conscient de son histoire, soucieux de sa mémoire, et engagé dans la modernité. Ce bâtiment n’est pas seulement un lieu de travail. C’est un point d’ancrage, un repère, un symbole. Un lieu où le temps long de l’histoire se lit dans les murs.

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