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samedi 15 mars 2025

« Chennakas »: La secousse de l’annulation de l’Aïd al-Adha se fait déjà sentir !

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L’annonce de l’annulation du sacrifice de l’Aïd al-Adha a créé une onde de choc sur le marché ovin. Habituellement marqué par une effervescence, ce dernier traverse une crise inédite où se mêlent incertitude, désillusion et opportunisme. Les prix chutent, les éleveurs s’inquiètent et les chennakas, ces intermédiaires incontournables du commerce du mouton, voient leur rôle bouleversé.

Le commerce du bétail repose sur un écosystème bien huilé, où les chennakas se taillent la part du lion. Ces intermédiaires achètent les moutons des éleveurs bien avant l’Aïd pour les revendre avec une marge parfois exorbitante. Cette année, leur pari s’est retourné contre eux. Beaucoup avaient investi massivement, anticipant une forte demande et une envolée des prix. Or, la recommandation de ne pas procéder au sacrifice a fait basculer la donne: les ventes sont au ralenti, les prix dégringolent et les stocks s’accumulent. Certains chennakas tentent de limiter la casse en écoulant leurs bêtes à des prix bradés, d’autres espèrent un revirement tardif du marché.

Dans les souks, l’ambiance est électrique. À Bir Jdid, au souk hebdomadaire du jeudi, le célèbre « Khmiss », les tensions sont palpables. Brahim, un chennak de longue date, tente de sauver ce qui peut l’être.

« C’est une catastrophe ! J’ai acheté mes bêtes à plus de 3 500 dirhams pièce, en pensant qu’elles se vendraient facilement à 4 500 ou 5 000. Aujourd’hui, personne ne veut acheter. Même à 2 500 dirhams, les clients négocient encore ! J’ai des dettes à rembourser, des frais d’alimentation à couvrir… Si ça continue comme ça, je vais tout perdre. »

Les éleveurs, déjà éprouvés par la sécheresse et la flambée des coûts de l’alimentation animale, voient leur marge fondre. Ils comptaient sur cette période pour rentabiliser une année difficile, mais la chute brutale des prix leur laisse peu d’options. Certains accusent les chennakas d’avoir spéculé sur les prix les années précédentes et d’être aujourd’hui piégés par leurs propres pratiques. De leur côté, les intermédiaires dénoncent une situation qu’ils n’ont pas vue venir et cherchent à écouler leurs stocks avant d’essuyer des pertes trop lourdes.

Les consommateurs, eux, sont partagés. Pour de nombreuses familles, le sacrifice du mouton représente une dépense importante, pouvant atteindre 30 à 40 % de leur budget annuel en viande. Avec la crise économique et l’inflation, l’absence de cette charge est un soulagement. D’autres, attachés à la tradition, tentent de profiter des prix cassés, mais l’ambiance générale est à la prudence.

Dans un quartier populaire de Casablanca, Amina, mère de trois enfants, hésite encore.

« Chaque année, on se prive pour acheter un mouton. Cette fois, je me sens soulagée… Je vais pouvoir utiliser cet argent pour les vêtements des enfants et pour rembourser une petite dette. Mais en même temps, je ressens un pincement au cœur. Mes enfants sont habitués à l’Aïd, à voir leur père sacrifier le mouton. J’ai peur qu’ils soient déçus. »

Traditionnellement, l’Aïd al-Adha génère une forte demande en bétail. Chaque année, environ 7,7 millions de moutons sont sacrifiés, représentant un pilier économique pour les éleveurs et commerçants. Cette année, cependant, l’effet immédiat de la directive royale a été une chute des prix du cheptel.

Dans un marché déjà fragilisé par la sécheresse et l’inflation, cette baisse soudaine des prix a pris de court les éleveurs qui tablaient sur une forte demande. Si certains consommateurs y voient une opportunité pour acheter un mouton à moindre coût, beaucoup de familles préfèrent suivre la recommandation Royale, freinant ainsi la reprise du marché.

D’après une étude du Haut-Commissariat au Plan (HCP), la tendance au renoncement au sacrifice était déjà en progression. En 2022, 12,6% des ménages marocains ne pratiquaient pas ce rituel, contre 4,7% en 2014. Cette évolution est plus marquée en milieu urbain, où 14,3% des ménages avaient déjà fait ce choix, contre 5,9% en zone rurale.

Ce n’est pas la première fois que le Maroc suspend le rituel sacrificiel. En 1963, alors que le pays faisait face à la guerre des Sables avec l’Algérie, une directive Royale avait déjà annulé le sacrifice. Même scénario en 1981 et 1996, lorsque de sévères sécheresses avaient contraint le Royaume à préserver son cheptel.

L’histoire semble donc se répéter, mais avec une différence notable : cette décision intervient dans un contexte d’évolution des mentalités, où de plus en plus de Marocains revoient leurs priorités économiques et sociales.

L’avenir des chennakas est quant à lui incertain. Certains y voient l’opportunité d’un assainissement du secteur, d’autres craignent une restructuration brutale qui laissera de nombreux acteurs sur le carreau.

Dans les semaines à venir, un nouvel équilibre devra être trouvé. Entre réajustement du marché, redéfinition du rôle des intermédiaires et changement des habitudes de consommation, l’Aïd al-Adha 2025 marquera peut-être un tournant dans la relation des Marocains à cette tradition.

Mohamed MOUNADI

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L'invité du Nouvelliste Maroc

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