Après les visas, les aides et les droits de douane, c’est désormais au portefeuille des diasporas que s’attaque la Maison Blanche. Une taxe de 3,5 % sur les transferts d’argent effectués par des non-citoyens américains vers l’étranger est en passe d’être adoptée dans le nouveau projet de loi budgétaire des États-Unis. Derrière cette mesure, une stratégie claire : faire payer les migrants. Et parmi les pays qui risquent d’en ressentir les contrecoups, le Maroc figure en bonne place.
Washington justifie cette taxe comme un instrument de redressement budgétaire. Intégrée dans le projet de loi surnommé « One Big Beautiful Bill », elle vise à prélever un impôt fédéral sur chaque somme envoyée à l’international par des résidents non américains. En pratique, cela signifie qu’un transfert de 100 dollars depuis les États-Unis vers le Maroc verrait plus de 10 dollars retenus au total, entre frais classiques et cette nouvelle taxe.
Pour le Royaume, cette ponction arrive à un moment critique. En 2024, les transferts d’argent envoyés par la diaspora marocaine ont atteint près de 12 milliards de dollars, dont une part importante provient des États-Unis. Ces fonds représentent environ 6 % du produit intérieur brut national, soit une contribution supérieure à celle de nombreux secteurs industriels. Et, surtout, ils irriguent directement les foyers. Alimentation, scolarité, soins médicaux, logement : cet argent finance le quotidien de centaines de milliers de familles marocaines.
Les transferts constituent également un levier d’équilibre macroéconomique. Ils renforcent les réserves en devises, soutiennent la consommation intérieure et participent au financement de l’investissement privé. Une contraction de ces flux pèserait lourdement, surtout dans les régions les plus liées à l’émigration.
En ciblant ces transferts, la nouvelle taxe frappe au cœur d’un lien transnational essentiel. Nombre de Marocains installés aux États-Unis, souvent dans des emplois précaires, envoient régulièrement une partie de leurs revenus à leurs proches. La surtaxation de ces envois risque de les décourager ou de les pousser vers des canaux informels, comme les paiements en espèces ou les transferts par tiers non déclarés. Des méthodes qui échappent à tout contrôle, accroissent les risques de fraude et réduisent la traçabilité des fonds.
Le Maroc n’est pas un cas isolé. De nombreux pays africains, dont le Nigeria, le Sénégal, le Liberia ou la Sierra Leone, dépendent largement des transferts de leur diaspora installée outre-Atlantique. Mais l’ampleur des montants en jeu et la structuration du tissu familial marocain donnent à cette mesure un relief particulier. Contrairement à d’autres pays, les transferts vers le Maroc sont, dans leur grande majorité, formels, sécurisés et intégrés au circuit bancaire. En les taxant, Washington fragilise un système qui fonctionnait jusque-là avec une relative transparence.