Dans le grand jeu mouvant du commerce mondial, les lignes bougent. Et certains pays, discrets jusqu’ici, se retrouvent soudain dans la lumière. C’est le cas du Maroc, qui, à la faveur des tensions commerciales croissantes et d’un désengagement progressif vis-à-vis des États-Unis, voit s’ouvrir devant lui une fenêtre stratégique sans précédent.
De la guerre commerciale sino-américaine à la remise en cause de certains accords historiques, en passant par la volatilité des tarifs douaniers et les pressions politiques unilatérales, les partenaires traditionnels de Washington prennent leurs distances. Pas pour rompre, mais pour se protéger. Pour diversifier. Pour gagner en autonomie. Le tout dans un climat d’instabilité géopolitique, de fragilité logistique post-Covid et d’urgence climatique.
Dans ce contexte, le Maroc coche toutes les cases du partenaire alternatif : proche des marchés européens, connecté au reste du monde via ses ports et ses accords de libre-échange, stable, agile et déjà bien inséré dans plusieurs chaînes de valeur internationales.
L’agriculture, historiquement l’un de ses piliers à l’export, illustre parfaitement cette bascule. Dans plusieurs pays, les distributeurs se détournent peu à peu des produits américains, poussés par une pression citoyenne croissante ou par le simple réalisme économique. Au Canada, par exemple, un boycott spontané de certains fruits et légumes venus des États-Unis a récemment poussé des importateurs à multiplier les appels vers d’autres fournisseurs — Espagne, Mexique, Maroc. Sans tambour ni trompette, les poivrons marocains, les clémentines de Berkane ou les tomates du Souss prennent ainsi davantage de place dans les étals québécois. Ce n’est pas une révolution. Mais c’est un signal.
Un signal parmi d’autres, dans un mouvement mondial plus large. Car le Maroc ne se résume plus à ses productions agricoles. Le Royaume assemble aujourd’hui des voitures exportées dans plus de 70 pays. Il produit des composants pour Boeing et Airbus. Il devient un hub pour les data centers, les centres d’appel, les fintechs et les métiers du cloud. Il développe l’un des mix énergétiques les plus ambitieux du continent. Et il attire, chaque année, de nouveaux investisseurs venus chercher une alternative crédible à l’Asie, une proximité logistique avec l’Europe et une stabilité difficile à trouver ailleurs.
La montée en puissance du Maroc ne tient pas du hasard. Elle repose sur une stratégie patiente de montée en gamme industrielle, d’ouverture commerciale, de formation ciblée et d’investissement massif dans les infrastructures. Aujourd’hui, cette stratégie trouve un écho nouveau dans un monde où les entreprises veulent sécuriser leurs chaînes, raccourcir les distances et diversifier leurs risques géopolitiques.
Mais pour aller plus loin, il faudra accélérer. Promouvoir davantage la marque Maroc à l’international. Travailler sur la qualité perçue des produits, dans l’agro comme dans l’industrie. Développer les filières à très haute valeur ajoutée, comme les biotechnologies, l’hydrogène vert, la transformation numérique. Et surtout, être là, prêt, au moment où les grandes puissances économiques redessinent leurs cartes stratégiques.
Le Maroc n’est plus un pays secondaire dans le commerce mondial. Il devient un acteur central d’une nouvelle géographie des flux. Le comprendre, c’est déjà commencer à l’assumer. Le jouer à fond, c’est s’assurer une place de choix dans le monde d’après.