Derrière chaque appel d’offres truqué, c’est l’argent du contribuable qui s’évapore. Les soumissions concertées, également appelées ententes illicites entre entreprises lors des appels d’offres publics, ne sont pas seulement une tricherie déloyale, elles constituent une entrave majeure au développement économique du Maroc. Ces pratiques anticoncurrentielles faussent le jeu de la concurrence, entraînant une augmentation des coûts pour les administrations et une utilisation inefficace des fonds publics.
Les marchés publics jouent un rôle crucial dans l’économie marocaine, représentant une part significative du produit intérieur brut (PIB). Bien que les données spécifiques pour le Maroc ne soient pas disponibles, dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les dépenses publiques consacrées aux marchés publics représentent environ 13 % du PIB. Si l’on considère une proportion similaire pour le Maroc, cela signifierait que les soumissions concertées pourraient affecter une portion substantielle des dépenses publiques, compromettant ainsi l’efficacité économique et la confiance du public.
Les conséquences des soumissions concertées sont multiples et néfastes. Elles entraînent une augmentation artificielle des prix des biens et services, ce qui alourdit la charge financière de l’État et des collectivités locales. De plus, l’absence de concurrence réelle peut conduire à une baisse de la qualité des prestations fournies, les entreprises n’étant pas incitées à innover ou à améliorer leurs offres. Enfin, ces pratiques entravent l’accès au marché pour les nouvelles entreprises, limitant ainsi la diversité et la compétitivité du tissu économique national.
Avoir un arsenal juridique ne suffit pas si son application reste limitée. Le Maroc dispose d’une législation stricte contre les pratiques anticoncurrentielles, avec des sanctions prévues dans la loi 104-12. Ce texte, relatif à la liberté des prix et de la concurrence, interdit explicitement les ententes ayant pour objet ou pour effet de restreindre, d’empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché national. Pourtant, la mise en œuvre de ces mesures demeure un combat permanent face aux montages sophistiqués mis en place par certaines entreprises. La loi 104-12 Cette législation vise à promouvoir une concurrence loyale et à protéger l’économie marocaine des pratiques anticoncurrentielles.
Le Conseil de la concurrence, en tant qu’autorité indépendante, est chargé de veiller au respect de ces dispositions. Il dispose de pouvoirs étendus en matière d’enquête, de poursuite et de sanction des pratiques anticoncurrentielles. En 2019, le Conseil a rendu 50 décisions, dont près de la moitié concernaient des saisines liées à l’accès à la commande publique. Cette activité témoigne de l’importance accordée à la surveillance des marchés publics et à la lutte contre les pratiques collusoires.
Détecter la triche : un enjeu stratégique
Les ententes secrètes laissent toujours des indices, encore faut-il savoir les repérer. Anomalies dans les offres, rotations suspectes entre soumissionnaires, écarts de prix inexplicables… Les autorités doivent affiner leurs techniques pour déceler ces pratiques et agir avant que l’argent public ne disparaisse dans des circuits opaques.
La conception des appels d’offres doit donc être pensée de manière à décourager la collusion. Cela inclut la diversification des fournisseurs, la simplification des procédures pour encourager la participation des petites et moyennes entreprises, et la mise en place de critères d’évaluation transparents. Ensuite, la formation des agents publics est essentielle pour qu’ils puissent détecter les signes avant-coureurs de pratiques collusoires et réagir en conséquence. Enfin, la coopération entre les différentes instances concernées, telles que le Conseil de la concurrence, les autorités judiciaires et les organismes de régulation sectoriels, est cruciale pour assurer une application efficace des lois en vigueur.
Des sanctions plus sévères, un signal fort
Quand la fraude ne coûte rien, elle se répète. Le Conseil de la concurrence a commencé à sanctionner ces pratiques en 2022, une avancée significative qui se doit d’être renforcée. Au total, 31 décisions de sanction ont été rendues, portant sur des pratiques anticoncurrentielles et des défauts de notification d’opérations de concentration. Ces décisions ont été largement relayés, à l’époque, auprès de la presse. Une initiative à la fois judicieuse et louable car une répression efficace et médiatisée envoie toujours un message clair aux entreprises tentées de contourner les règles : la triche ne paie plus.
Toutefois et malgré quelques avancées notables, les défis subsistent et ils sont légion. La détection des soumissions concertées nécessite des outils sophistiqués et une expertise pointue, car les entreprises impliquées cherchent souvent à dissimuler leurs pratiques. De plus, la culture de la concurrence doit être renforcée tant au sein des administrations publiques que des entreprises privées. Cela passe par des campagnes de sensibilisation, des formations spécialisées et une communication transparente sur les sanctions appliquées en cas de manquement.
À l’avenir, le Maroc pourrait s’inspirer des meilleures pratiques internationales pour perfectionner son dispositif de lutte contre les soumissions concertées. Par exemple, l’OCDE recommande une collaboration étroite entre les autorités de la concurrence et les entités responsables des marchés publics, ainsi que l’adoption de techniques d’analyse de données pour détecter les schémas suspects dans les offres soumises. En renforçant ses mécanismes de prévention et de répression, le Maroc pourra assurer une utilisation optimale des ressources publiques et favoriser un environnement économique plus compétitif et équitable.
Mohamed MOUNADI