Après trois années de travail, Bank Al-Maghrib (BAM) a officiellement déposé un projet de loi encadrant ces actifs numériques auprès du ministère des Finances. Une annonce faite par le wali de la Banque centrale, Abdellatif Jouahri, lors d’un point de presse tenu à l’issue de la réunion trimestrielle du Conseil d’administration de BAM. Ce texte marque une avancée majeure dans l’organisation du secteur, longtemps en proie à un vide juridique certain.
Jusqu’à présent, le commerce des crypto-monnaies était interdit au Maroc. Pourtant, leur utilisation s’est largement développée, plaçant le pays au 27ᵉ rang mondial en termes d’adoption, selon Chainalysis. Cette contradiction entre la réglementation et la réalité du marché a conduit à des poursuites judiciaires contre des dizaines de traders accusés d’enfreindre les règles du commerce transfrontalier et de la réglementation des changes.
Face à cette expansion, BAM a travaillé en étroite collaboration avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) pour élaborer un cadre législatif garantissant la sécurité des transactions tout en exploitant le potentiel économique de ces actifs. Un comité spécialisé regroupant la Banque centrale, l’Autorité marocaine du marché des capitaux, l’Autorité de contrôle des assurances et des réserves sociales ainsi que l’Office des changes est en charge de finaliser ce projet de loi avant son passage au Parlement.
Parallèlement à cette réglementation, BAM travaille sur l’introduction d’un dirham numérique, un projet stratégique visant à moderniser les transactions financières. Selon Abdellatif Jouahri, cette initiative permettra de réduire la manipulation d’espèces, de lutter contre l’économie informelle et de favoriser l’inclusion financière. Pour tester cette innovation, le Maroc a lancé une expérience pilote en collaboration avec l’Égypte, avec le soutien de la Banque mondiale et du FMI.
Le fondateur de Mchain, Badr Bellah, souligne l’attente suscitée par la réglementation du marché des crypto-monnaies : « Il est étrange qu’un pays où l’adoption des crypto-actifs est si avancée continue de les interdire officiellement, surtout dans un contexte mondial en pleine mutation ». Selon lui, ce retard s’explique par la nécessité pour les institutions bancaires marocaines de s’adapter à cette nouvelle réalité financière.
Si les crypto-monnaies ouvrent des perspectives intéressantes – inclusion financière, innovation technologique, investissements dans les startups – elles comportent aussi quelques risques. Issam Alaoui, expert en science des données, rappelle que les autorités se doivent de composer avec des enjeux de blanchiment d’argent, de fraude et d’évasion fiscale. En effet, de plus en plus de Marocains travaillent à distance et perçoivent leurs salaires en crypto-monnaies, ce qui pose la question de la convertibilité et de la fiscalité de ces transactions.
« Lorsque le nombre de petits investisseurs se chiffre en millions, comme c’est le cas aujourd’hui, la légalisation devient une nécessité absolue », insiste Alaoui. Un cadre réglementaire clair permettrait non seulement de protéger les investisseurs, mais aussi de capter les flux financiers actuellement hors des radars fiscaux.
A travers ce projet de loi, le Maroc s’engage enfin dans la voie de la régulation des crypto-monnaies, rejoignant d’autres pays ayant pris des mesures similaires pour encadrer cette révolution financière. Ce tournant devrait apporter plus de transparence et de sécurité aux utilisateurs tout en reliant cette technologie à l’économie nationale.
L’adoption de cette loi pourrait aussi ouvrir la porte à une dynamique nouvelle : développement d’un écosystème blockchain local, facilitation des paiements internationaux et émergence de startups spécialisées. Reste à savoir si le Parlement validera ce projet sans heurts ou si des ajustements seront nécessaires pour répondre aux attentes du secteur. Une chose est sûre : la crypto-économie arrive en force au Maroc.