Le moteur du tourisme marocain tourne en partie grâce à elles. Pourtant, les agences de location de voitures sans chauffeur continuent à traverser de nombreuses zones de turbulences. Entre réformes lourdes, disparités criantes, absence de protection légale, et espoirs liés à la Coupe du Monde 2030, le secteur se débat pour rester sur la route. Et derrière les vitrines de Marrakech, Casablanca ou Agadir, des milliers de professionnels – comme Oussama ou Zineb – s’accrochent à leur volant, avec la rage de ne pas être laissés sur le bas-côté.
Avec l’afflux de touristes étrangers et le retour massif des Marocains résidant à l’étranger chaque été, la location de voitures est l’un des piliers de la mobilité au Royaume. Mais si le secteur semble en plein essor vu de l’extérieur, il est en réalité plombé par une série d’entraves réglementaires, fiscales et opérationnelles qui touchent de plein fouet les petites agences, nombreuses mais peu visibles.
« On nous demande de moderniser, de digitaliser, d’investir… mais comment faire, quand on ne peut même pas accéder au parking de l’aéroport ? », lâche Oussama, patron d’une agence à Casablanca. Comme des centaines d’autres loueurs indépendants, il est exclu des espaces réservés aux grandes multinationales dans les aéroports du pays. Résultat : des clients désorientés, des véhicules garés dans des zones peu pratiques, et un désavantage concurrentiel majeur.
Depuis plusieurs années, seuls certains opérateurs disposant d’un bail commercial avec les autorités aéroportuaires peuvent stationner leurs véhicules dans les parkings officiels des aéroports marocains. Les autres – souvent des structures familiales ou de taille modeste – doivent trouver des solutions parallèles, souvent illégales, ou recourir à des navettes depuis des parkings extérieurs.
Pour Zineb, installée à Marrakech, « c’est une forme de discrimination économique. On ne peut pas parler de libéralisation du secteur si l’accès au client est verrouillé ». La FALAM (Fédération des Associations des Loueurs de voitures au Maroc) a plusieurs fois interpellé les autorités, en vain. À quelques années d’un événement aussi mondial que la Coupe du Monde 2030, la situation soulève des questions sur l’équité d’accès aux infrastructures.
Depuis l’entrée en vigueur du nouveau cahier des charges en avril 2024, les agences ont dû se conformer à des normes plus strictes : statut juridique bien défini, parc minimum, traçabilité, formalisation des contrats, etc. Face à la bronca du secteur, le ministère du Transport a prolongé la période transitoire jusqu’à fin 2025.
Mais la réalité reste complexe. L’ancienne exigence d’un capital social minimum de 500 000 dirhams, d’abord généralisée à toutes les agences, a été revue pour ne concerner que les nouvelles. « Une victoire partielle, mais le mal est fait », regrette Oussama. Car cette annonce avait d’ores et déjà bloqué des financements et paralysé de nombreuses petites entreprises.
Autre épine dans le pneu : les vols de véhicules, de plus en plus fréquents, et très mal encadrés juridiquement. Aujourd’hui, une agence qui subit le vol d’un véhicule n’est indemnisée que si le client restitue les clés, la carte grise, et fournit un procès-verbal en bonne et due forme. Autant dire : presque jamais. Résultat, c’est souvent la trésorerie de l’agence qui absorbe la perte.
Zineb en a fait les frais : « J’ai perdu deux véhicules en six mois. Le client est introuvable, la police piétine, l’assurance ne couvre rien. Et on continue à me demander d’investir… ». Le vide juridique autour de ces situations expose les agences à une insécurité croissante.
À cela s’ajoute un environnement fiscal jugé peu incitatif. Alors que les agences réclament depuis des années un soutien pour renouveler leurs flottes, aucune mesure n’a été prise pour leur accorder un abattement significatif sur l’achat de véhicules neufs. L’exonération de TVA qui existait autrefois a été supprimée, alourdissant la facture des professionnels.
Le projet de loi de finances 2025 a certes relevé le plafond d’amortissement fiscal des voitures de tourisme de 60 000 à 80 000 dirhams, mais cette mesure est jugée largement insuffisante par les petits acteurs. « Pour acheter un SUV neuf à 300 000 dirhams, qu’est-ce que ça change vraiment ? », s’interroge Oussama. « On demande des incitations claires, pas des miettes. »
L’organisation de la Coupe du Monde 2030 est perçue comme une opportunité historique. Des millions de visiteurs sont attendus, et les besoins en mobilité seront immenses. Mais si les choses ne bougent pas rapidement, seuls les gros groupes bénéficieront de cette manne. Pour Oussama et Zineb, le message est clair : sans une réforme plus juste, une ouverture des accès aux aéroports, une fiscalité adaptée, et un véritable filet juridique, le secteur risque de perdre ses acteurs les plus agiles et les plus proches du terrain.
« On a toujours été là, pendant les crises, la Covid, les fêtes, l’été, les inondations. Et on sera là pour 2030. Mais il faut que le pays décide de nous intégrer pleinement dans le modèle économique, ou de nous laisser crever doucement », conclut Zineb.
Entre injustice systémique et réforme inachevée, les agences de location marocaines continuent de rouler… mais les yeux fixés sur un virage qui tarde à venir.