Accueil Maroc Pensions, cotisants, réserves : la mécanique du système marocain selon l’ACAPS

Pensions, cotisants, réserves : la mécanique du système marocain selon l’ACAPS

Pensions, cotisants, réserves : la mécanique du système marocain selon l'ACAPS

Le paysage des retraites au Maroc, selon le dernier rapport dressé par l’Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance Sociale (ACAPS), se caractérise par une organisation éclatée entre plusieurs régimes couvrant aussi bien les secteurs public que privé. Chaque caisse fonctionne selon ses propres règles, avec des modalités distinctes de cotisation et de calcul des pensions. Cette architecture complexe, déjà fragilisée, est aujourd’hui confrontée à des déséquilibres croissants.

Dans le secteur public, la Caisse Marocaine des Retraites administre les pensions des fonctionnaires de l’État, des collectivités locales et d’établissements publics. Ce régime, fondé sur un modèle de répartition, prend en compte la durée de service et la moyenne des salaires perçus durant les huit dernières années d’activité. Depuis 2016, l’âge légal de départ y est relevé progressivement jusqu’à 63 ans. En parallèle, le Régime Collectif d’Allocation de Retraite couvre une autre frange du personnel public, avec un calcul de la pension basé sur l’ensemble de la carrière et une revalorisation liée à l’évolution des salaires.

Dans le privé, les salariés sont rattachés à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale, qui applique également un modèle par répartition, avec un départ fixé à 60 ans. La pension y dépend des salaires déclarés et du total des jours cotisés. Un dispositif complémentaire existe via la CIMR, initialement destiné aux entreprises, mais qui s’est ouvert aux travailleurs indépendants depuis 2017. Ce régime hybride combine répartition et capitalisation.

D’autres régimes spécifiques coexistent, notamment pour certaines professions libérales ou organismes publics comme Bank Al-Maghrib ou l’ONEE, disposant de systèmes internes adaptés à leur statut.

Cette pluralité s’accompagne de déséquilibres croissants. Le vieillissement de la population, l’allongement de la durée de vie et la baisse du ratio actifs/retraités menacent la pérennité du système. En deux décennies, ce ratio est passé de 6,5 à 2,1 pour le régime civil de la CMR, et à 1,3 pour le RCAR. D’ici à 2031 pour la CMR, 2036 pour la CNSS, et 2052 pour le RCAR, les réserves seraient entièrement épuisées si rien n’est fait.

À cette pression démographique s’ajoute l’ampleur du travail informel. Moins de la moitié des actifs marocains sont aujourd’hui couverts par un régime de retraite, laissant des millions de personnes sans filet pour leur vieillesse. Le problème dépasse les enjeux budgétaires : le maintien du pouvoir d’achat des retraités devient un défi majeur, surtout dans un contexte où la revalorisation des pensions reste l’exception, comme c’est le cas au RCAR.

Les écarts sont flagrants entre les pensions versées dans le public et le privé. En moyenne, un retraité de la CMR perçoit 8 557 dirhams par mois, contre 2 177 dirhams pour un affilié de la CNSS. Trois quarts des personnes âgées ne touchent aucune pension, faute d’avoir cotisé. Un constat qui alimente les inégalités sociales.

L’impact de cette situation se fait sentir à l’échelle économique. Les caisses de retraite injectent chaque année plus de 85 milliards de dirhams dans l’économie nationale, tout en jouant un rôle d’investisseur institutionnel majeur. Un affaiblissement du système pèserait lourd sur la consommation et l’équilibre des marchés financiers. Du côté des employeurs, notamment les petites et moyennes entreprises, la hausse des cotisations pourrait représenter un frein à l’emploi.

Face à ces déséquilibres, l’ACAPS souligne l’urgence d’une réforme de fond. Le dernier rapport de l’autorité dresse un constat sévère : déficits croissants, ratio cotisants/retraités en chute libre, réserves menacées. Seule une refonte globale permettrait de garantir à la fois la soutenabilité financière du système et une meilleure équité entre les affiliés.

Les discussions engagées dans le cadre du Dialogue Social lancé en 2022 visent à repenser les fondements du système. L’âge de départ, les taux de cotisation ou encore les plafonds des pensions sont au cœur des négociations. L’enjeu est de parvenir à une transition progressive vers un modèle plus inclusif, sans déséquilibrer l’économie.

Plusieurs institutions indépendantes, dont la Cour des comptes, Bank Al-Maghrib, le CESE ou le Haut-Commissariat au Plan, partagent ce diagnostic. Toutes insistent sur la nécessité d’un élargissement de la couverture, d’une harmonisation des régimes, et d’un ajustement des paramètres au contexte démographique et économique du pays.

En 2024, les chiffres confirment l’ampleur du défi. Le RPC/CMR enregistre un déficit technique de 7,3 milliards de dirhams. Le RCAR, déficitaire depuis 2004, continue de creuser sa dette. La CNSS entre à son tour dans une zone critique. Seule la CIMR affiche encore un excédent.

Dans ces conditions, l’absence de réforme mettrait en péril l’un des piliers de la solidarité nationale. L’État est désormais face à un impératif : reconstruire un système de retraite viable, juste et durable.

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