C’est un travail de titan, forgé sur quatre décennies de recherches, d’explorations linguistiques et de patience. La maison d’édition néerlandaise Brill vient de publier le premier dictionnaire berbère Tachelhit–français, signé par le professeur Harry Stroomer, une sommité dans le domaine des langues afro-asiatiques. Avec plus de 3 000 pages, cet ouvrage s’impose comme une référence inédite dans l’histoire de la lexicographie amazighe.
Commencée en 1986 dans le cadre de son poste à l’Université de Leyde, cette aventure lexicographique a puisé sa matière dans un vaste corpus : publications anciennes, archives, mais aussi une riche moisson de données issues du terrain, récoltées au fil de ses voyages et immersions, notamment au Maroc.
Le dictionnaire va bien au-delà de la simple équivalence mot-à-mot. Il regorge d’expressions idiomatiques, d’exemples contextualisés, d’énigmes traditionnelles, mais aussi de références culturelles précieuses. Une démarche qui restitue la vitalité du tachelhit, parlé notamment dans le Sud marocain, et reflète une vision holistique de la langue comme miroir de la culture.
Né en 1946, Harry Stroomer n’est pas un inconnu pour les spécialistes. Docteur en linguistique depuis 1987, il a consacré sa carrière à l’étude des langues nord-africaines et moyen-orientales, avec un intérêt marqué pour le berbère et les langues sud-sémitiques. Il a mené des recherches de terrain en Égypte, au Kenya, en Somalie, à Malte, au Yémen, mais aussi au Maroc, où il a tissé un lien durable avec le monde amazighe.
Loin de se limiter aux langues, son travail embrasse également la littérature orale, les chants, les coutumes, et la culture matérielle, dans une approche profondément humaniste.
Avec ce dictionnaire, c’est une passerelle savante entre deux mondes qui se matérialise : celui des locuteurs du tachelhit, langue vivante et ancestrale, et celui des chercheurs, enseignants, traducteurs et passionnés de langues. Un outil de transmission, un socle pour les générations futures, et un hommage vibrant à une richesse linguistique encore trop peu documentée.
En consacrant sa retraite à ce projet, Harry Stroomer a offert au monde un trésor. Une œuvre qui, plus qu’un dictionnaire, est une déclaration d’amour à la langue amazighe.