À l’heure où l’aviation cherche activement à réduire ses émissions, les carburants durables, ou SAF, peinent encore à s’imposer. Malgré une progression spectaculaire de l’offre ces trois dernières années, leur part reste marginale dans le mix énergétique mondial, ne dépassant pas 0,3 % en 2024.
Face à cette lente montée en puissance, le Maroc pourrait bien se positionner en pionnier. Une étude du Boston Consulting Group (BCG), publiée sous le titre « Sustainable Aviation Fuels Need a Faster Takeoff », met en avant les conditions réunies pour faire du Royaume un acteur stratégique de l’aviation décarbonée en Afrique et au-delà.
Le pays dispose de plusieurs atouts majeurs : des ressources renouvelables abondantes, des aéroports modernes, une stratégie affirmée autour de l’hydrogène vert, et une situation géographique qui en fait une passerelle naturelle entre l’Europe et le continent africain. Pour Émile Detry, associé directeur du bureau BCG de Casablanca, tous les indicateurs sont au vert pour que le Maroc joue un rôle clé dans cette transition.
Alors que de nombreuses entreprises hésitent encore à s’engager pleinement, le Maroc se distingue par sa capacité à anticiper les transformations industrielles de fond. Miser sur les SAF aujourd’hui permettrait non seulement de soutenir l’objectif mondial de décarbonation, mais aussi d’accélérer l’émergence d’une économie verte, porteuse d’emplois qualifiés et de souveraineté énergétique.
L’étude relève cependant une contradiction persistante : si 80 % des entreprises interrogées se disent confiantes dans leur capacité à respecter les cibles SAF de 2030, seules 14 % estiment avoir les moyens de les atteindre à ce jour. En cause, une mobilisation inégale des acteurs du secteur. Tandis que les industriels et développeurs avancent, les compagnies aériennes et les gestionnaires d’aéroports adoptent une posture attentiste.
Ce déséquilibre ouvre la voie à des stratégies différenciées. Pour des économies comme celle du Maroc, agiles et réactives, l’enjeu est de créer un environnement propice aux investissements : fiscalité incitative, financements verts, partenariats industriels structurants. Autant de leviers qui pourraient lui permettre de rattraper rapidement son retard et de prendre une longueur d’avance.
Trois axes d’action se dégagent dans cette perspective. Le premier consiste à rassembler pouvoirs publics et entreprises autour d’une feuille de route partagée, inspirée des politiques européennes qui imposent une part minimale de SAF dans le carburant aérien. Le deuxième repose sur le lancement de projets pilotes industriels, adossés aux principaux hubs logistiques du pays, et portés par des alliances avec des acteurs technologiques mondiaux. Enfin, le troisième enjeu est d’assurer un cadre attractif pour les investisseurs, en garantissant une certaine visibilité économique, notamment via des contrats d’achat à long terme et un accès facilité aux mécanismes de financement climatique.
La filière SAF, en particulier celle fondée sur les e-fuels produits à partir d’hydrogène vert et de carbone capté, reste coûteuse à court terme. Mais selon BCG, elle est appelée à devenir incontournable. Pour le Maroc, s’engager dès maintenant permettrait non seulement de consolider une avance industrielle sur ses voisins, mais aussi de renforcer son autonomie énergétique dans un secteur stratégique et de valoriser une image tournée vers l’innovation et la durabilité.