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Comment le Maroc construit patiemment son avenir de puissance gazière

Comment le Maroc construit patiemment son avenir de puissance gazière

Alors que la demande en gaz naturel s’envole à l’échelle mondiale, le Maroc s’installe progressivement comme un acteur de premier plan dans le paysage énergétique international. Le pays anticipe une multiplication par trois de sa consommation annuelle, qui dépasse déjà le milliard de mètres cubes, tout en déployant une stratégie ambitieuse mêlant exploration nationale et développement d’infrastructures à grande échelle.

La découverte de nouveaux gisements au Maroc alimente déjà le secteur énergétique local. Cette dynamique s’accompagne d’un pari assumé sur le potentiel des ressources renouvelables et sur le projet stratégique du gazoduc Nigeria-Maroc. Ce dernier, baptisé « gazoduc Atlantique » par les États africains partenaires, pourrait, à l’horizon 2030, transformer le Royaume en véritable plateforme gazière reliant l’Afrique de l’Ouest à l’Europe.

L’intérêt des États-Unis pour le Nigeria-Morocco Gas Pipeline s’est récemment confirmé à Washington, lors des réunions du Fonds monétaire international et du Groupe de la Banque mondiale. À l’issue des échanges bilatéraux, Wale Edun, ministre nigérian des Finances, a révélé l’existence de discussions avec des acteurs économiques américains. L’objectif affiché est de sécuriser des investissements dans le secteur gazier, en s’appuyant sur les immenses réserves du Nigeria. Si les contours de la participation américaine restent à préciser, la volonté de s’associer à ce projet colossal témoigne de son importance stratégique.

En parallèle, le Maroc accélère sur le front domestique. Le gouvernement a récemment lancé un appel à manifestation d’intérêt pour développer un terminal de gaz naturel liquéfié à Nador West Med. Ce site sera doté d’une unité flottante de stockage et de regazéification, connectée à un réseau de gazoducs destiné à alimenter notamment les zones industrielles de Kénitra et Mohammedia. Sa mise en service est envisagée entre 2026 et 2027. Un deuxième point d’entrée est prévu sur la côte Atlantique avec une extension stratégique vers Dakhla, région clé pour les nouvelles industries.

Ces projets s’inscrivent dans une politique énergétique que le Royaume a bâtie patiemment, conscient depuis plusieurs années de la nécessité d’assurer sa souveraineté. L’évolution du marché mondial du gaz, marquée par la guerre en Ukraine, le conflit à Gaza et la compétition acharnée entre grandes puissances, a conforté Rabat dans son choix de diversification.

La diversification, la prévisibilité et la coopération sont traditionnellement considérées comme étant les trois piliers de la sécurité énergétique. Et elles sont déjà intégrées par le Maroc! La multiplication des sources d’approvisionnement et des routes logistiques, la stabilité réglementaire et l’ouverture à des partenariats globaux illustrent la feuille de route marocaine.

Les autorités marocaines ont aussi pris les devants en signant, bien avant 2021, des contrats d’inversion de flux avec l’Espagne. Le Royaume s’est ainsi assuré un accès rapide au marché international du GNL dès 2022. Depuis, cette stratégie s’est accélérée avec la confirmation de gisements prometteurs.

Les sites de Tendrara et du bassin du Gharb concentrent une partie de cette activité. La société britannique SDX Energy s’y montre particulièrement active. Avec un taux de réussite de forage supérieur à 80 %, notamment sur les concessions du Gharb, l’opérateur contribue à la production locale avec plus de 7 millions de pieds cubes par jour. Depuis 2017, la concession de Sebou bénéficie d’un permis d’exploration renouvelé pour huit ans.

Le Maroc a également entamé une mutation énergétique profonde. Le pays veut faire du gaz une ressource clé de son mix énergétique. D’ici 2030, le gaz naturel doit représenter 30 % du bouquet national, en soutien aux énergies renouvelables. La consommation intérieure, aujourd’hui tirée par la production électrique, le dessalement, l’industrie du phosphate ou la climatisation, devrait tripler dans les vingt prochaines années.

Leila Benali, ministre de la Transition énergétique, a réaffirmé ce cap lors du sommet de l’énergie à Ouarzazate en avril 2025. La stratégie est claire : investir massivement dans le renouvelable tout en consolidant la flexibilité offerte par le gaz. Le Royaume refuse ainsi de choisir entre souveraineté énergétique et engagement climatique.

Le développement de terminaux supplémentaires à Mohammedia ou Jorf Lasfar, puis à Dakhla, s’inscrit dans cette volonté. Quatre nouveaux gazoducs sont en projet : deux pour les gisements de Tendrara et Anchois, un pour interconnecter avec le Gazoduc Maghreb-Europe, et un dernier pour relier les bassins industriels de la côte Atlantique jusqu’à Dakhla.

En parallèle, le Maroc structure une gouvernance interinstitutionnelle pour réussir ce chantier. Un accord stratégique signé en mars 2024 réunit ministères, Office national de l’électricité et de l’eau potable, ONHYM, Agence nationale des ports, Nador West Med et Autoroutes du Maroc.

Le défi reste considérable. Près de 70 % de l’électricité marocaine provenait encore du charbon en 2024, notamment grâce aux centrales de Jorf Lasfar et de Safi. Les contrats à long terme avec leurs exploitants courent au-delà de 2040. Même avec des technologies de captage du carbone, la nécessité d’une transition est impérative.

Le Maroc considère le gaz naturel comme la meilleure solution de transition pour réduire rapidement ses émissions de CO2, en attendant la maturité technologique et économique de l’hydrogène vert.

Le pays avance donc avec méthode, conscient des contraintes financières et techniques. Ce pari, il semble aujourd’hui bien décidé à le relever. Sa position géographique, sa stabilité politique et sa stratégie à long terme lui permettent de s’imposer comme un hub gazier africain en devenir.

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