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Entre cash et numérique, les fintechs marocaines en terrain miné

Entre cash et numérique, les fintechs marocaines en terrain miné
Entre cash et numérique, les fintechs marocaines en terrain miné

Longtemps concentré entre les mains d’acteurs traditionnels, le secteur financier marocain connaît une inflexion discrète mais décisive. Depuis l’ouverture du marché des paiements numériques au printemps 2025, une nouvelle génération de start-up et de banques tente de redéfinir les contours de la bancarisation, de l’épargne et du crédit. Loin des projecteurs, c’est tout un écosystème qui se structure à la croisée de la finance, de la tech et du social.

À première vue, les chiffres restent modestes. Moins d’un adulte sur deux dispose d’un compte bancaire, les portefeuilles électroniques ne séduisent qu’une infime part de la population, et la préférence pour le cash domine encore. Pourtant, sous cette surface, le Maroc est en train de bâtir les fondations d’un basculement. La création en janvier du Morocco Fintech Center, plateforme pilotée par le ministère des Finances et Bank Al-Maghrib, en est l’un des marqueurs. Objectif affiché : accompagner les jeunes pousses du secteur, fluidifier leur régulation, et surtout élargir l’accès aux services financiers à des millions de Marocains encore à l’écart.

La manœuvre n’a rien de cosmétique. Dans un pays où près de 15 millions d’adultes ne sont toujours pas bancarisés, la promesse de l’inclusion numérique reste un chantier colossal. Elle se heurte à une défiance persistante vis-à-vis des institutions, à une fracture numérique profonde, et à un usage quasi exclusif de l’argent liquide dans de nombreuses régions. Pour y remédier, les autorités misent sur un arsenal mêlant incitations réglementaires, innovation encadrée, et mobilisation des fintechs autour de besoins locaux : transfert d’argent, microcrédit, paiement mobile.

La fin du quasi-monopole de CMI sur les paiements en ligne, actée en mai, a marqué un tournant. De nouveaux acteurs ont obtenu leur agrément et peuvent désormais traiter les flux digitaux, en s’adossant à des technologies plus légères, plus accessibles. Le développement des paiements transfrontaliers, notamment ceux émanant de la diaspora, alimente aussi la dynamique. Ces envois représentent à eux seuls plus de 8 % du PIB national.

Autre levier activé : l’encadrement des cryptomonnaies. Interdites depuis 2017, elles pourraient bientôt être régulées via une loi en cours d’élaboration. Le projet de monnaie numérique émise par la banque centrale (CBDC) est également à l’étude, avec l’idée de garantir un accès sécurisé aux services de paiement, même sans connexion bancaire traditionnelle.

Reste à savoir si ce virage techno-financier parviendra à combler les écarts. Car au-delà des promesses, les usages peinent à décoller. Dans les zones rurales comme chez les femmes, les taux de bancarisation restent faibles. Et malgré l’effervescence visible lors du dernier GITEX Africa à Marrakech, où la finance numérique s’est taillé une place de choix, le terrain reste fragile.

Certaines pistes émergent toutefois. Le développement de services conformes à la finance islamique, encore trop peu proposés par les fintechs, pourrait répondre à une demande aujourd’hui mal adressée. De même, le couplage entre transferts de la diaspora et investissement local ouvre une fenêtre inexplorée. En clair, ce n’est pas seulement d’infrastructures technologiques dont le pays a besoin, mais d’une innovation sociale à hauteur des réalités.

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