À Bab Makina, le Festival de Fès a offert samedi soir un moment suspendu, où les frontières musicales se sont effacées au profit d’une alchimie rare entre liturgie baroque et mélodies andalouses. Sous la houlette d’Antonio Greco et Mohammed Briouel, la rencontre entre les Vêpres de la Sainte Vierge de Monteverdi et les envolées de l’Orchestre Arabo-Andalou de Fès a profondément marqué le public.
Le décor, sublimé par des projections mêlant iconographie chrétienne et motifs floraux, a amplifié cette atmosphère de recueillement. Sur les murs ocre de Bab Makina, les visages de Monteverdi et les images d’églises mariales répondaient aux lignes ondoyantes d’eau et de lumière, créant une scénographie à la fois mystique et sensorielle.
La rigueur du langage baroque s’est mêlée à la liberté poétique des modes andalous dans une fusion musicale où chaque timbre semblait prolonger l’autre. Les voix puissantes portées par le chœur et les solistes ont trouvé un écho inattendu dans les arabesques instrumentales issues de la tradition maghrébine, bâtissant un pont sonore entre deux rives du monde méditerranéen.
La salle, pleine à craquer, a accompagné chaque envolée d’une écoute dense, presque cérémonieuse. Entre tension retenue et moments de grâce, le concert a imposé un rythme intérieur au public, happé par la densité expressive de cette création inédite. Cette proposition artistique, fruit d’une collaboration entre le Festival de Fès et celui de Monteverdi à Crémone, augure d’autres échanges féconds autour des traditions sacrées européennes et arabo-andalouses.
Un peu plus tôt dans la soirée, d’autres formes de spiritualité ont résonné dans l’enceinte du festival. L’ensemble soufi Al Areej du Sultanat d’Oman a ouvert la scène avec “La Voix des Ancêtres”, composition originale pensée pour cette édition. En puisant dans les maqâms Saba, Bayati et Sika, les musiciens ont déployé les nuances d’un répertoire profondément enraciné dans le quotidien omanais.
Le Maled, pratique soufie empreinte de gestes symboliques et de mouvements rythmiques, a pris corps à travers l’interprétation d’Omar El Breki et de ses musiciens. Par la transe induite par les balancements du corps, l’invocation devenait offrande, comme une lumière tirée de la terre pour être partagée.
Puis ce fut au tour du groupe Madrassati Toiyaria de Mayotte de faire vibrer la scène avec le Deba, forme de dhikr chanté exclusivement interprété par des femmes. Drapées d’étoffes chatoyantes, elles ont incarné la mémoire poétique de l’océan Indien, entre invocation et chorégraphie, gestes ondulants et percussions entêtantes. À travers cette célébration de la naissance du Prophète, les corps ont raconté une autre façon d’habiter le sacré.
Lorsque les deux ensembles se sont rejoints pour une séquence finale commune, le dialogue entre les pratiques soufies d’Oman et les chants mahorais s’est imposé avec évidence. Cette rencontre, aussi émouvante que maîtrisée, a illustré avec force le thème choisi pour cette 28e édition : les renaissances.
Avec plus de 200 artistes issus de 15 pays, cette édition confirme la vocation du Festival de Fès à tisser des passerelles entre les cultures, fidèle à l’histoire de la ville, carrefour ancien des savoirs et des quêtes spirituelles.