Aujourd’hui, l’intelligence artificielle s’impose plus que jamais comme une révolution technologique incontournable, redéfinissant les modes de fonctionnement dans de nombreux secteurs. Au Maroc, son intégration progressive soulève des interrogations quant à la nécessité d’un encadrement législatif capable d’assurer un équilibre entre innovation, respect des droits fondamentaux et impératifs éthiques.
Le pays ne dispose pas encore d’une législation spécifique encadrant l’IA. Toutefois, plusieurs lois existantes abordent des aspects indirectement liés à cette technologie. La loi 09-08 relative à la protection des données personnelles constitue l’un des piliers de la régulation du numérique. À cela s’ajoute la loi 05-20 sur la cybersécurité, qui vise à protéger les infrastructures digitales contre les cybermenaces. Mais ces textes, élaborés avant l’essor de l’IA, ne prennent pas en compte les défis spécifiques liés aux algorithmes, à l’apprentissage automatique et à l’automatisation des processus décisionnels.
Face à cette situation, les autorités marocaines travaillent à l’élaboration d’un cadre réglementaire adapté. Le ministère de la Justice a amorcé des réflexions sur une future loi qui devra répondre aux défis posés par l’IA, notamment en matière de responsabilité juridique, de transparence des décisions algorithmiques et de protection des libertés individuelles. Le Conseil Économique, Social et Environnemental recommande une refonte des textes existants pour qu’ils intègrent explicitement l’usage des technologies d’IA dans les transactions et la gestion des données.
L’IA offre des perspectives considérables pour l’économie et l’administration publique. Selon le « Government AI Readiness Index 2023 » d’Oxford Insights, le Maroc se classe au 88e rang mondial et au 6e en Afrique en termes de préparation à l’IA. Le pays affiche un score de 37,54 en gouvernance, traduisant un engagement institutionnel croissant, et un score de 36,70 en technologie, illustrant la nécessité d’investissements supplémentaires. En matière de données et d’infrastructures, le Maroc obtient un score de 53,82, soulignant des bases solides mais insuffisantes pour une adoption massive de l’IA dans les services publics et privés.
L’intégration de l’IA dans la gouvernance législative elle-même est un enjeu majeur. Le recours à cette technologie dans l’élaboration des lois pourrait améliorer l’analyse des textes et accélérer les processus législatifs. Toutefois, la législation ne peut être réduite à une simple logique algorithmique, car elle repose sur des valeurs humaines, des considérations sociales et des arbitrages politiques. La crainte d’une délégation excessive des processus de prise de décision à des systèmes automatisés soulève des questions fondamentales sur le contrôle démocratique et la souveraineté des États.
Dans le cadre de la numérisation des services publics, la ministre a annoncé le lancement prochain d’un portail électronique unifié des services publics. Cette plateforme permettra de centraliser et d’optimiser l’accès des citoyens aux divers services en ligne. À ce jour, le Maroc compte déjà plus de 600 services publics numériques, parmi lesquels 300 sont destinés aux citoyens, 200 aux entreprises et 100 aux administrations publiques.
Dans le secteur des télécommunications, le pays prévoit une couverture 5G étendue, avec un objectif de 25 % de la population couverte d’ici 2026 et 70 % à l’horizon 2030. Ce déploiement s’accompagnera d’une expansion de la couverture en fibre optique, qui concernera 5,6 millions de foyers d’ici 2030.
Enfin, le projet “Cloud First Policy” a pour but de promouvoir l’utilisation du cloud computing dans l’administration publique, facilitant ainsi la numérisation des services et l’amélioration de leur qualité. Le ministère prévoit également d’étudier la maturité numérique des administrations publiques afin d’établir une méthodologie d’évaluation de leur niveau de transformation digitale.
Parallèlement à ces avancées, le Maroc a récemment introduit un avatar féminin basé sur l’intelligence artificielle, un projet visant à améliorer la communication avec les citoyens. L’essor de ces avatars, à l’image des influenceuses virtuelles Kenza Layli et Radia Bensouda, illustre l’évolution de l’IA vers des interactions de plus en plus sophistiquées avec le public. Cette initiative ouvre la voie à des usages variés de l’IA dans l’administration et le secteur privé, tout en posant des questions cruciales sur la transparence, la régulation et les implications éthiques de ces technologies.
L’un des défis majeurs reste la régulation de l’impact de l’IA sur l’emploi. La numérisation et l’automatisation des tâches risquent d’affecter plusieurs secteurs, nécessitant une adaptation du droit du travail. La formation et la reconversion des compétences apparaissent comme des leviers essentiels pour éviter une fracture technologique et garantir une transition harmonieuse vers une économie numérique inclusive.
Afin de répondre efficacement aux enjeux de l’IA, le Maroc devra adopter une approche législative souple et évolutive. Il s’agit d’encourager l’innovation tout en instaurant des garde-fous contre les risques inhérents à cette technologie. La mise en place d’un cadre réglementaire clair, intégrant les standards internationaux et tenant compte des spécificités du pays, est essentielle pour garantir un développement équilibré de l’intelligence artificielle dans notre pays.