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Le Maroc durcit les règles du jeu électoral : vers des élections plus « propres » ?

Le Maroc durcit les règles du jeu électoral : vers des élections plus propres ?

Le Maroc s’apprête à franchir un cap décisif dans la refonte de son système électoral. Le projet de loi organique adopté le 19 octobre lors du Conseil des ministres vise à moderniser en profondeur les règles encadrant l’élection des députés, dans un contexte où la défiance à l’égard des institutions atteint des sommets. Ce texte, fruit d’un travail d’arbitrage politique et juridique, intervient après plusieurs années de turbulences. Depuis 2021, plus d’une vingtaine de parlementaires ont vu leur mandat annulé, rattrapés par des affaires de fraude ou de corruption.

Au cœur du projet, une volonté affirmée de moralisation. Toute personne condamnée définitivement à une peine de prison, même avec sursis, pour un crime ou un délit devient inéligible. Les cas de flagrant délit liés au processus électoral sont également exclus du champ de la candidature. Cette fermeté vise à briser l’image d’impunité qui colle depuis trop longtemps à la scène parlementaire.

Mais la réforme ne se limite pas au registre pénal. Elle introduit aussi des outils de traçabilité inédits. Désormais, chaque candidature devra être déposée en ligne via une plateforme numérique officielle. L’enregistrement devient entièrement dématérialisé, et tout dossier non soumis électroniquement sera rejeté. Derrière cette mesure, une ambition claire : réduire les marges de manœuvre pour les pratiques opaques. Reste à savoir si cette digitalisation sera accessible à l’ensemble des candidats, notamment dans les zones à faible connectivité. L’un des risques pointés par certains spécialistes est l’émergence d’une nouvelle fracture, non plus économique ou sociale, mais technologique.

Autre nouveauté majeure, le volet inclusif de la réforme. Les jeunes de moins de 35 ans bénéficieront d’un soutien public couvrant jusqu’à 75 % de leurs dépenses de campagne. Les listes régionales exclusivement féminines deviennent également obligatoires, renforçant la parité au sein de la Chambre des représentants. Le texte vise à ouvrir davantage les portes du champ politique à des profils longtemps marginalisés. Cette ouverture générationnelle et féminine cherche à renouveler un personnel politique souvent jugé déconnecté.

La régulation des contenus numériques en période électorale constitue l’un des autres chantiers sensibles de ce nouveau cadre. Toute tentative de manipulation via l’intelligence artificielle, tout contenu mensonger diffusé à des fins électorales, qu’il soit relayé localement ou depuis l’étranger, sera passible de lourdes peines. Ces dispositions marquent une avancée face à la montée des campagnes de désinformation. Mais elles posent aussi la question de la frontière entre lutte contre la manipulation et liberté de critique politique. L’interprétation des juges sera cruciale pour que la régulation ne vire pas au contrôle abusif.

L’arsenal juridique est donc prêt. Encore faut-il que les institutions chargées de le faire appliquer s’en saisissent avec impartialité. Le texte accorde des pouvoirs renforcés aux gouverneurs, aux juridictions régionales, à la Cour des comptes et à la Cour constitutionnelle, toutes désormais habilitées à invalider une candidature ou à annuler un scrutin. Mais ces mécanismes n’auront d’effet que si leur mise en œuvre échappe aux logiques de calcul ou d’influence. C’est là que réside la véritable épreuve de crédibilité.

Ce projet de loi incarne une volonté politique d’assainissement. Il répond aux attentes d’un électorat désabusé, qui réclame des représentants exemplaires et des institutions à la hauteur de la transformation économique du pays. Mais la réussite de cette réforme ne dépendra ni de la précision des articles ni de la qualité de leur rédaction. Elle se jouera dans les pratiques, les comportements, les arbitrages, les résistances.

Dans un système politique encore largement marqué par la reproduction des élites, l’efficacité de ce nouveau cadre reposera sur un changement de culture autant que sur le respect du droit. Une architecture légale solide ne suffit pas à réformer un champ politique si les partis continuent à fonctionner selon des logiques claniques ou opportunistes. La loi fixe un cap. Reste à savoir qui acceptera de le suivre.

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