Le projet de loi de finances 2026 poursuit la trajectoire tracée par la loi-cadre 69-19 sur la réforme fiscale. S’il affiche une volonté affirmée de justice fiscale, d’élargissement de l’assiette et de rationalisation des prélèvements, son architecture reste davantage marquée par une logique d’ajustement que celle d’une disruption.
Et pour cause; quatre ans après le lancement de la réforme, le cap est maintenu : élargir l’assiette sans relever les taux, moderniser sans déstabiliser, collecter sans freiner l’activité. L’ambition est claire, mais les leviers d’action restent concentrés sur quelques dispositifs ciblés. Le principe de neutralité fiscale, pourtant affiché comme central, reste à concrétiser pleinement.
Enfin, dans un contexte budgétaire contraint, le choix d’élargir l’assiette plutôt que de relever les taux témoigne d’une prudence certaine. Mais cette stratégie, si elle n’est pas accompagnée d’un renforcement de l’administration, d’un soutien actif à la transition du secteur informel et d’un pilotage plus audacieux de la fiscalité directe, risque de limiter l’impact réel sur la justice fiscale.
Réforme élargie mais peu structurante
L’élargissement du périmètre de la retenue à la source aux prestations facturées par les banques, assurances et grandes entreprises, ainsi que l’instauration d’une retenue de 5 % sur les loyers professionnels, montrent cette volonté d’aller chercher les recettes là où la traçabilité est possible. Ces mesures permettent certes de capter de nouveaux revenus, mais la question de leur efficacité à long terme dépendra de leur articulation avec une réforme plus profonde de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés.
Dans le secteur agricole, l’extension de l’exonération de TVA à l’ensemble des intrants vient corriger une incohérence fiscale, tout en allégeant les charges des exploitants. Cette décision, bien que socialement défendable, interroge néanmoins sur la différenciation entre agriculture de subsistance et exploitation intensive, les deux n’ayant ni les mêmes capacités ni les mêmes impacts.
Autre point notable : la reconduction jusqu’en 2028 de la Contribution Sociale de Solidarité. Présentée comme un outil de redistribution, elle continue de faire porter une part non négligeable de l’effort fiscal sur les entreprises les plus structurées, sans que les contreparties en matière d’allègement sur d’autres postes soient pleinement visibles.
Une trajectoire cohérente, mais encore inachevée
Sur le plan de la TVA, les avancées sont tangibles : réduction des taux, droit au remboursement généralisé, élargissement du champ d’application. Le principe de neutralité progresse, mais les effets de seuil, les décalages de trésorerie et la complexité administrative continuent de pénaliser certaines catégories d’entreprises.
Le PLF 2026 conserve l’esprit de la réforme lancée en 2021, sans en accélérer le rythme. L’assainissement du cadre fiscal progresse, mais à un rythme qui reste dicté par la prudence. À ce jour, la réforme produit des effets visibles dans les segments les plus formels de l’économie, mais peine encore à transformer les rapports entre l’administration fiscale et les opérateurs informels.
Le sport entre incitation et expérimentation
Parmi les nouveautés introduites cette année, l’instauration d’un cadre fiscal propre aux sociétés sportives mérite attention. L’exonération totale d’IS sur cinq ans, la suppression de TVA jusqu’en 2030 et les abattements progressifs sur les revenus versés aux acteurs du secteur visent à structurer une filière encore fragile. Mais cette fiscalité incitative pose une question de cohérence : pourquoi un tel traitement différencié pour un secteur qui ne constitue ni un moteur économique majeur ni un gisement fiscal significatif à court terme ?
Cette démarche semble davantage relever d’un pari politique sur le potentiel du sport que d’une stratégie fiscale établie. Elle risque, si elle n’est pas accompagnée d’exigences de performance et de transparence, de créer des effets d’aubaine ou des distorsions injustifiées.
Un modèle fiscal sous tension équilibriste
Le projet de loi de finances 2026 ne bouleverse pas le système fiscal marocain. Il en consolide les bases, en corrige certaines failles, en ajuste les marges. L’équilibre reste son mot d’ordre, mais c’est aussi sa limite. À force de ne pas trancher, la réforme risque de se diluer dans une succession d’ajustements techniques.
La fiscalité ne peut plus se contenter d’être un outil de collecte. Elle doit devenir un levier stratégique au service du développement, de la justice sociale et de la compétitivité. Ce chantier reste ouvert.
Efficacité fiscale ?
Plus globalement, le PLF 2026 tente de conjuguer efficacité fiscale et maintien d’un filet social. La reconduction de la contribution sociale de solidarité traduit cette volonté redistributive. Toutefois, en l’absence d’une réforme structurelle de l’impôt sur le revenu, la progressivité réelle du système reste limitée. Le haut du spectre économique reste relativement peu contraint, tandis que les dispositifs de lutte contre l’informel reposent principalement sur la fiscalisation automatique via la retenue à la source, sans véritable accompagnement à la formalisation.
Le texte comporte aussi un volet technique important : révision des dispositifs d’incitation à l’investissement, simplification des régimes, adaptation du droit fiscal à l’environnement économique. Des ajustements bienvenus pour renforcer la sécurité juridique des entreprises, mais qui ne suffisent pas à régler les profondes asymétries entre grandes structures organisées et petites entités confrontées à une complexité administrative croissante.
Le PLF 2026 assume donc une vision équilibrée, mais c’est précisément cet équilibre qui pourrait en freiner la portée : trop ciblé pour transformer, pas assez profond pour réformer en profondeur.
