Accueil Dossiers Spéciaux & Décryptages Euro numérique : le Maroc doit-il suivre le mouvement ?

Euro numérique : le Maroc doit-il suivre le mouvement ?

Euro numérique : le Maroc doit-il suivre le mouvement ?

Alors que la Banque centrale européenne trace la feuille de route vers l’émission d’un euro numérique à l’horizon 2029, la question du positionnement du Maroc face à cette mutation monétaire majeure se pose avec une acuité grandissante. Partenaire économique historique de l’Union européenne, le Royaume pourrait difficilement rester à l’écart d’un bouleversement qui redéfinit à la fois les flux financiers, les normes de souveraineté numérique et les dynamiques d’intégration économique.

D’un point de vue commercial, l’Union européenne représente le premier partenaire du Maroc, absorbant près de 60 % de ses exportations et représentant une part significative de ses importations. Dans ce contexte, l’introduction d’une version numérique de la monnaie unique ne sera pas un simple ajustement technologique. Elle risque, à terme, d’influencer les pratiques de facturation, les circuits de règlement interbancaires, les normes de conformité et les attentes en matière de traçabilité financière. Ne pas anticiper ces transformations pourrait créer un écart opérationnel entre les entreprises marocaines et leurs homologues européennes, notamment en matière de compétitivité transactionnelle.

Sur le plan monétaire, le Maroc suit une politique de flexibilité progressive de son dirham, arrimé à un panier dominé par l’euro. Dans un tel contexte, l’émergence d’un euro numérique pourrait avoir des incidences sur la gestion des réserves de change, la politique de change elle-même, et potentiellement sur les équilibres macroéconomiques. Une digitalisation partielle ou totale des transactions en euro, notamment dans les échanges commerciaux, nécessiterait une mise à niveau des systèmes de régulation et des outils de suivi à disposition de Bank Al-Maghrib.

La question de la souveraineté numérique est également centrale. En se dotant d’une monnaie digitale, l’Union européenne franchit un seuil stratégique : celui d’un contrôle renforcé sur ses flux monétaires, à l’abri des grandes plateformes privées étrangères. Pour le Maroc, qui s’est engagé dans une série d’initiatives en matière de digitalisation, de fintech et d’inclusion financière, ce virage européen doit servir de déclencheur. Il souligne l’urgence de réfléchir à des outils propres, adaptés à ses spécificités économiques, régionales et sociales.

Le lancement du « e-dirham », s’il était envisagé, ne pourrait pas se faire sur le modèle européen sans une étude approfondie de ses impacts. La structure de l’économie marocaine, largement informelle et encore dépendante du cash, nécessite une approche mesurée, fondée sur l’éducation financière, la modernisation des systèmes de paiement, et l’accompagnement des citoyens et entreprises dans la transition numérique.

Par ailleurs, l’émission d’un euro numérique pourrait aussi rebattre les cartes du secteur bancaire. Les banques marocaines, actrices centrales dans la chaîne de financement, pourraient être appelées à adapter leurs infrastructures pour faciliter l’interopérabilité entre le dirham et une version digitale de l’euro, tout en respectant des standards de sécurité et de conformité imposés par les régulateurs européens.

Enfin, un enjeu d’image et de positionnement stratégique se dessine. Le Maroc a toujours affiché une ambition claire : devenir une plateforme régionale de services financiers, tournée vers l’Afrique. Dans ce cadre, son degré d’adaptation aux innovations financières de ses partenaires, notamment européens, sera déterminant. Intégrer dès aujourd’hui la réflexion sur les monnaies numériques de banque centrale (MNBC), via des études de faisabilité, des partenariats techniques ou des expérimentations ciblées, permettrait au Royaume de préserver sa crédibilité et sa réactivité sur la scène financière régionale.

L’annonce de la BCE ne constitue donc pas un événement lointain ou isolé pour le Maroc. Elle agit plutôt comme un signal stratégique : celui d’une mutation de fond dans l’architecture monétaire mondiale. Et pour un pays qui aspire à conjuguer stabilité macroéconomique, souveraineté technologique et intégration régionale, il devient impératif de ne pas rester spectateur.

Quitter la version mobile