L’accès à l’assurance maladie pourrait bien transformer la manière dont les ménages marocains gèrent leur épargne. Une étude menée par Sara Loukili et Patti Fisher, à partir de données nationales sur la consommation, met en lumière un effet net : les ménages couverts par une assurance santé épargnent moins que ceux qui ne le sont pas.
Ce phénomène touche particulièrement les foyers les plus fragiles (entendre par là les familles à faibles revenus, zones rurales, ou les ménages dirigés par des femmes). Pour ces groupes, l’assurance maladie joue le rôle d’un filet de sécurité, réduisant le besoin de constituer une épargne de précaution face à des dépenses médicales imprévues.
L’analyse repose sur l’enquête nationale sur les dépenses des ménages et un modèle économétrique tenant compte de multiples critères sociaux et économiques. En moyenne, la couverture santé est associée à une baisse de 24,5 points du taux d’épargne. Cet effet atteint 28 points chez les foyers les plus modestes et reste significatif, bien que moindre, dans les tranches supérieures.
Dans les zones rurales, où l’accès aux soins reste limité et les coûts de transport élevés, l’effet est également marqué. Quant aux ménages dirigés par des femmes, souvent confrontés à une plus grande précarité, la baisse d’épargne s’établit à plus de 21 points. Les travailleurs indépendants, souvent exclus des circuits traditionnels de crédit, montrent la réponse la plus forte, avec une baisse de 45 points de leur taux d’épargne.
Ce changement de comportement ne se limite pas à la seule épargne. L’étude observe également un réajustement des priorités budgétaires. Dans les ménages les plus pauvres, l’assurance favorise un accès accru aux soins, augmentant les dépenses de santé. Chez les foyers plus aisés, on note au contraire une diminution des frais médicaux directs et une réallocation des ressources vers l’éducation ou d’autres postes à plus long terme.
Au-delà du soulagement immédiat face aux dépenses de santé, l’assurance maladie semble donc renforcer la capacité des ménages à planifier, investir et améliorer leur bien-être global. Mais l’étude souligne aussi une réalité : malgré l’extension de la couverture santé à 85 % de la population, les dépenses directes des ménages restent élevées, représentant encore 38 % du total des dépenses de santé en 2022. Un niveau bien supérieur au seuil des 25 % fixé par l’OMS.
Ces résultats plaident pour une amélioration de la qualité de la couverture, en particulier pour les ménages vulnérables, afin de maximiser les effets positifs sur leur sécurité financière. Ils invitent aussi à penser l’assurance santé non seulement comme un outil de protection, mais aussi comme un levier de transformation des comportements économiques.
