Un écho sec, des talons qui frappent avec rigueur, des mains qui claquent et se répondent dans une chorégraphie millimétrée. Dès les premières secondes, « Antípodas » impose une grammaire du corps aussi précise qu’intense. Lundi soir, dans le cadre du Festival de Fès des Musiques Sacrées du Monde, cette performance atypique a captivé le public réuni dans les allées du jardin Jnan Sbil.
À l’origine de ce face-à-face sensible, deux sœurs jumelles, Florencia Oz et Isidora O’Ryan. La première, danseuse et chorégraphe, ancre le spectacle dans un flamenco épuré, puissant, où chaque geste traduit un fragment d’introspection. La seconde, violoncelliste et chanteuse, en dessine le souffle musical, entre cordes frottées et voix habitée. Ensemble, elles plongent dans un dialogue qui interroge la gémellité, le reflet, la séparation.
« Antípodas » repose sur une idée simple, universelle : celle du double. Un mythe ancien, ici revisité sous l’angle de l’identité. Le récit suit deux entités d’abord confondues, puis dissociées. D’un corps unique naissent deux figures, deux voix qui se cherchent, s’opposent, se complètent, sans jamais rompre le lien. L’une danse, l’autre chante, mais toutes deux parlent d’un même mouvement intérieur.
Sur scène, l’espace reste nu, la lumière sobre. Le reste vient du rythme, des pulsations, du souffle et des silences. Florencia Oz imprime au sol des motifs complexes avec ses talons, claque des doigts, balaye l’air de ses bras dans une gestuelle précise, tendue. Son flamenco, radical et contemporain, s’inscrit dans une tension permanente entre maîtrise et lâcher-prise.
En contrepoint, Isidora O’Ryan enveloppe la scène d’une matière sonore où le violoncelle s’ouvre à des sons électroniques, des percussions feutrées, des nappes enregistrées. Elle module sa voix, la pose, la dédouble, créant un contrechamp musical au corps de sa sœur. Chacune façonne l’autre à travers son propre langage. Ce va-et-vient compose un seul flux, une seule phrase sensible.
C’est cette symbiose, rarement atteinte, qui fait la force du spectacle. Il ne s’agit pas d’une juxtaposition entre musique et danse, mais d’une fusion organique, où chaque geste agit sur le son, chaque note influe sur le mouvement. À certains instants, les deux femmes bougent en miroir, à d’autres en dissonance, jouant de la gémellité comme d’un prisme scénique.
Le public a reçu cette proposition comme une respiration lente et profonde, une méditation sur le lien, la séparation, le soi et l’autre. Le duo chilien a offert à Fès bien plus qu’une performance. Une traversée intérieure, où la beauté naît de la précision, et l’émotion de l’épure.