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Privatisation opaque et salariés sacrifiés : l’affaire oubliée de la SNT-CGCT

Privatisation opaque et salariés sacrifiés : l’affaire oubliée de la SNT-CGCT

À la fin des années 1970, le Maroc amorce sa mue technologique. À la manœuvre, Mahjoubi Aherdane, alors ministre des Postes et Télécommunications, initie en 1977 la création de la Société Nationale des Télécommunications (SNT). L’idée est ambitieuse : bâtir un acteur public de référence dans l’installation et la gestion des réseaux téléphoniques, tout en soutenant un tissu industriel local dans un secteur encore balbutiant.

Très vite, la SNT prend des parts dans la CGCT, société marocaine spécialisée dans les équipements téléphoniques urbains. Elle y entre à hauteur de 50 % et devient un partenaire stratégique de premier plan. Le binôme SNT–CGCT fonctionne pendant près de vingt ans, jusqu’à ce que la transition technologique des années 1990 rende leur modèle économique caduc.

C’est dans ce contexte qu’Abdel-Salam Ahizoune, à la tête de l’Office National de la Poste et des Télécommunications, décide de liquider la SNT et ses filiales. En mai 1997, un conseil d’administration entérine la cession des parts détenues dans la CGCT au profit de la société Radio Mobile Maroc (RMM), propriété de Zahraoui Cherkaoui. Montant de l’opération : deux millions de dirhams. L’accord reçoit l’aval du ministère de la Privatisation et de celui des Finances, mais il présente un vice de forme majeur : l’absence de l’avis du ministère de tutelle, pourtant indispensable.

Quelques semaines plus tard, la vente est officiellement actée. Mais en coulisses, les choses dérapent. Le chèque versé par l’acquéreur se révèle sans provision. Plutôt que d’annuler la transaction, les responsables de l’Office optent pour une procédure judiciaire. Une décision qui, loin de sécuriser les intérêts de l’État, place les salariés dans une impasse.

À l’automne 1999, Zahraoui est interpellé. Une issue bancale est trouvée; sa sœur cède le siège social de la société, un terrain de 1 800 m² situé en plein cœur de Casablanca, pour un montant de 8,2 millions de dirhams. La créance initiale de 2 millions est ainsi couverte, mais le solde – plus de 6 millions – échappe à tout suivi. Les employés, quant à eux, sont licenciés sans indemnité.

L’affaire prend alors une tournure plus troublante. En décembre 1999, une assemblée générale extraordinaire est convoquée. Elle accorde à Zahraoui les pleins pouvoirs pour vendre les actifs restants. Dans le procès-verbal, un nom attire l’attention : celui de Mohamed Laanser, ancien ministre, cité comme président du conseil… alors qu’il n’exerçait plus aucune fonction au moment des faits. Une falsification manifeste, restée sans suite.

Mais la plus grave entorse reste ailleurs. La transaction n’a pas seulement contourné la loi 39-89 encadrant les privatisations. Elle a surtout ignoré une directive explicite du ministère des Finances, qui imposait le règlement préalable de toutes les dettes sociales avant toute cession. Résultat : cinquante employés abandonnés à leur sort. Dix d’entre eux sont depuis décédés, sans avoir perçu ni indemnité de départ ni pension de retraite.

Plus opaque encore, une enveloppe publique de 4 milliards de centimes, débloquée au début des années 2000 par l’État pour indemniser les salariés, s’est volatilisée. Même incertitude sur les 190 millions censés garantir la couverture sociale et les retraites. Vingt-six ans plus tard, personne ne peut dire où ces fonds sont passés.

Ce scandale, jamais officiellement reconnu, continue encore d’empoisonner la mémoire des anciens employés de la CGCT et de leurs familles. Beaucoup y voient un symbole de plus d’un système de privatisation improvisé, au bénéfice de quelques-uns, au détriment des droits élémentaires de dizaines de salariés. Et derrière le silence administratif, l’écho persistant d’une opération menée sans transparence, sans garde-fous, et surtout sans justice.

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