Le compte à rebours est lancé. En janvier 2026, les nouvelles réglementations bancaires européennes (CRR3/CRD6), transposant les règles finales de Bâle III, entreront en vigueur. Leur objectif : harmoniser les cadres juridiques et prudenciels dans l’ensemble de l’Union européenne. Fini les passe-droits. Les banques non européennes opérant par le biais de simples succursales devront désormais se conformer à des exigences renforcées, à moins de transformer leurs entités en filiales à part entière – une démarche lourde et techniquement complexe. Mais dans ce nouveau paysage, les banques marocaines présentes en Europe font figure d’exception.
Le passeport européen, un avantage stratégique
Attijariwafa Bank Europe, BCP Europe et Bank of Africa France détiennent un atout-clé. Il s’agit du passeport européen. Grâce à lui, elles peuvent opérer librement dans tous les pays membres de l’Union, au même titre que leurs homologues européennes. Cette position privilégiée les met à l’abri des bouleversements qui attendent nombre de banques opérant sans licence bancaire complète sur le territoire européen. Autre avantage, ces filiales sont déjà pleinement soumises à la réglementation européenne. Pas besoin de course contre la montre pour se conformer aux nouvelles exigences puisqu’elles les dépassent déjà largement.
Des ratios qui parlent d’eux-mêmes
La solidité financière de ces établissements est frappante. Attijariwafa Bank Europe affiche un ratio de solvabilité proche de 20%, alors que le seuil européen est fixé à 14,5 %. Son ratio de liquidité à court terme (LCR) s’envole à 1045 %, très au-dessus du 100 % requis. Même constat pour le ratio de stabilité financière (NSFR), à 230 %, et le ratio de levier, à 5,7 % contre un minimum de 3 %. BCP Europe et Bank of Africa France présentent également des niveaux de performance similaires. Résultat, le passage à CRR3/CRD6 ne nécessitera aucun ajustement majeur pour ces filiales. Une rareté dans un contexte de forte tension réglementaire.
Une expertise forgée sur plusieurs décennies
Cette avance ne doit rien au hasard. La présence bancaire marocaine en Europe est le fruit d’un demi-siècle d’expérience. Dès la fin des années 1960, le Maroc avait anticipé les besoins de sa diaspora en créant, via le Crédit Populaire, un dispositif d’accompagnement bancaire en France. Ce réseau a évolué pour devenir, en 1972, la Banque Populaire du Maroc en France. Puis, au fil des décennies, d’autres banques comme BMCE ont emboîté le pas, avec une stratégie claire d’intégration dans le système bancaire européen. Les filiales actuelles n’ont pas été créées pour contourner les règles : elles en sont partie intégrante. Et cela change tout.
Le rôle stratégique auprès des MRE
Les banques marocaines en Europe conservent une mission centrale : servir de pont entre la maison mère au Maroc et les Marocains résidant à l’étranger. Grâce à leur statut pleinement européen, elles peuvent faciliter l’ouverture de comptes à distance, les transferts de fonds, l’accès au crédit et à d’autres services bancaires, en toute légalité. Seule contrainte, elles ne peuvent distribuer directement les produits de la banque mère sans l’aval des autorités européennes. Mais là encore, le digital change la donne. Avec leurs plateformes en ligne, ces banques permettent désormais aux clients d’accéder à presque tous les services à distance.
Une ambition : obtenir le certificat d’équivalence
Si les pionniers sont aujourd’hui protégés, d’autres banques marocaines souhaiteraient les rejoindre dans l’arène européenne. Mais le durcissement du cadre réglementaire rend cette ambition plus complexe. C’est ici qu’entre en jeu une carte maîtresse : le certificat d’équivalence. Délivré par la Commission européenne, ce certificat reconnaît la compatibilité du système bancaire d’un pays tiers avec celui de l’UE. Il ouvre la voie à une coopération simplifiée, à une réduction des contraintes administratives et à une meilleure intégration financière.
Bank Al Maghrib pourrait prochainement formuler une demande en ce sens. Et le Maroc a de solides arguments à faire valoir : une loi garantissant l’indépendance de sa banque centrale, une discipline réglementaire exemplaire, des accords de coopération avec des régulateurs européens, une sortie de la liste grise de l’UE pour la lutte contre le blanchiment en 2023, et surtout… une présence bancaire déjà exemplaire sur le terrain.
Un enjeu technique, mais aussi politique
L’obtention de ce certificat ne dépend pas uniquement de la qualité du cadre prudentiel marocain. Il faut aussi obtenir le soutien d’au moins un État membre de l’UE. Le Maroc pourra s’appuyer sur ses partenariats solides avec des pays comme la France, l’Espagne, la Belgique ou les Pays-Bas. L’exemple du Royaume-Uni post-Brexit montre que la décision peut être aussi politique que technique. Mais si le Maroc parvient à faire reconnaître la qualité de sa supervision bancaire, ce serait une avancée stratégique majeure pour l’ensemble du secteur.