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Malgré le désamour politique, le Parlement explose les audiences en ligne

Malgré le désamour politique, le Parlement explose les audiences en ligne

Le contraste n’aura échappé à personne. Alors que le Parlement marocain peine à redorer son image auprès d’une opinion publique souvent critique, la présentation du projet de budget 2026 a tout de même rassemblé des millions de spectateurs en ligne. Facebook, YouTube, Instagram : la diffusion en direct des travaux de la Commission des finances a connu un engouement rare, avec plus de 4,7 millions de vues toutes plateformes confondues. De quoi nourrir l’espoir d’un regain d’intérêt pour l’action législative. Pour Rachid Talbi Alami, président de la Chambre des représentants, ces chiffres confirment que le Parlement s’impose désormais comme un espace central du débat public.

Le paradoxe est là, pourtant. Car dans la même salle où ces chiffres étaient salués, les députés ont reconnu, à mots à peine couverts, le fossé grandissant entre les citoyens et leurs élus. L’opposition, en particulier, ne mâche pas ses mots. Dévalorisation du statut parlementaire, soupçons récurrents, accusations médiatiques : la critique est vive, parfois amère. Abderrahim Chahid, de l’USFP, évoque une institution fragilisée, où l’image des élus souffre, malgré les efforts consentis. Ahmed El Abadi (PPS) dénonce l’effet délétère des scandales à répétition, pendant qu’Abdellah Bouanou (PJD) fustige le traitement réservé aux députés par certains médias, accusés de ne rechercher que le cliché humiliant.

Face à ces attaques, la majorité préfère mettre en avant les avancées. Elle cite un record : 75 propositions de loi approuvées en une seule année, une première depuis 1963. Au total, 166 textes adoptés depuis le début de la législature, plus de 10.000 amendements déposés, près de 600 réunions de commissions. Une activité législative que les députés RNI ou PAM associent à une dynamique de réforme inspirée par les Hautes Directives Royales, notamment dans le domaine de la protection sociale et de l’investissement.

Mais la bataille pour la crédibilité ne se gagnera pas à coups de chiffres. C’est en tout cas ce que rappellent plusieurs voix de l’opposition, qui appellent à une meilleure reconnaissance du travail parlementaire. Seloua Demnati (USFP) révèle avoir songé à démissionner face au climat ambiant. Dans ce contexte tendu, l’opération de communication autour du budget 2026 prend une valeur stratégique. La transformation numérique de l’institution, appuyée par le lancement du studio Media Box en partenariat avec la MAP, est saluée, mais ne fait pas l’unanimité. L’opposition s’inquiète pour l’indépendance éditoriale, réclame une convention formelle avec la MAP, et relance l’idée d’une chaîne parlementaire propre, capable de refléter le travail des élus sans filtre.

Autre point de friction : les archives numériques du Parlement, critiquées pour leur obsolescence. Le site ne remonte pas au-delà de 2007, et les outils de recherche sont jugés inopérants. Rachid Talbi Alami promet une modernisation prochaine, tout en rappelant que la Chambre reçoit jusqu’à 15.000 chercheurs par jour, preuve d’un besoin accru d’accès à l’information.

Sur le volet interne, majorité et opposition s’accordent pour une fois sur le dossier du personnel. Le manque d’espace, les écarts de rémunération, les différences de traitement entre contractuels et titulaires nourrissent une colère persistante. Les députés évoquent aussi la retraite complémentaire, bloquée depuis des années, les droits sociaux inégalement appliqués, ou encore l’absence de reconnaissance du travail administratif. Le besoin de formation continue, de partenariats universitaires et d’une meilleure couverture santé revient avec insistance. Face à cette avalanche de doléances, le président Talbi Alami promet une refonte organisationnelle, mais avertit : tant que la question de l’espace ne sera pas réglée, les réponses resteront partielles.

Côté chiffres, le projet de budget 2026 s’élève à 668,429 millions de dirhams, un montant inchangé par rapport à 2025. La ventilation budgétaire privilégie clairement le fonctionnement, notamment les rémunérations des députés et fonctionnaires, qui absorbent plus de 478 millions. À cela s’ajoutent 170 millions pour les dépenses diverses et 20 millions pour l’investissement, alloués principalement à la mise à niveau technique et sécuritaire des infrastructures parlementaires. Dans le détail, quatre priorités sont mises en avant : le soutien au travail législatif et de contrôle, la diplomatie parlementaire, le renforcement de la communication numérique et l’amélioration des services liés aux missions. Un budget figé, mais une institution en mouvement. Reste à savoir si l’image, elle, suivra.

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